« Dis son nom » ne pourra rester anonyme – entrevue de Pierre Trudel

  1. geneviève, il y a le tribunal qui a tranché en faveur d’un montréalais qui avait été dénoncé de façon anonyme sur les réseaux sociaux pour une agression sexuelle alléguée. ça s’était retrouvé sur la fameuse page dis son nom. – oui, voilà. le tribunal a tranché que l’une des deux administratrices de dis son nom qui voulait demeurer anonyme devra bel et bien révéler son identité de même que la personne qui avait dénoncé jean-françois marquis, le montréalais en question. alors, la page dis son nom avait été mise en ligne l’été dernier, c’est dans la foulée de l’autre vague de dénonciations d’inconduites sexuelles moi aussi. et c’est une page qui permettait donc aux gens de dénoncer de façon anonyme de présumées agresseurs sexuelles.

  2. le nom de jean-françois marquis, ce montréalais, s’est retrouvé sur la liste. or, il dit n’avoir rien fait. alors, il poursuit en diffamation les administratrices de la page dis son nom. 50 000 $ en dommages. c’est ce qu’il réclame. et là, donc, en préparation du procès, il avait fait certaines demandes au tribunal notamment pour connaître l’identité de la deuxième administratrice qui se faisait appeler sous ses initiales « a.a. » et le tribunal a tranché qu’effectivement, même si cette dame dit avoir vécu elle-même des agressions sexuelles, pas de la part de monsieur marquis, mais quand même, elle devra bel et bien agir à visière levée devant le tribunal et même chose pour ce qui est de la dénonciatrice de jean-françois marquis. en fait, je dis « la » mais on ne sait pas si c’est une ou plusieurs personnes. mais donc cette ou ces personnes devront sortir de l’anonymat et pour qu’il puisse préparer sa défense justement, il devra pouvoir avoir accès à l’ensemble de l’histoire qui avait été présentée à la page. bref, là-dessus, voici l’avocat de jean-françois marquis. pierre-hugues miller, avocat de jean-françois marquis – on ne doit pas avoir la prémisse de dire : « on vous croit à tout prix sans aucune validation ». enfin, on aura le détail, on aura l’information sur ce qui lui est véritablement reproché et il pourra d’ores

  3. et déjà, à partir de là, dire : « je ne l’ai pas commis » ou « ça ne s’est pas passé de la façon dont la personne me présente ». – est-ce que cette décision pourrait décourager d’autres personnes à dénoncer sur les réseaux sociaux? – bien, c’est ce que craignent en fait les militants et militantes du mouvement moi aussi justement parce que c’est sûr qu’avec une décision comme celle-là, ça peut rendre certaines dénonciatrices plus frileuse face aux risques de poursuites justement. sophie gagnon, directrice générale, juripop – les tribunaux ne pourront pas garantir l’anonymat des personnes qui ont fait des dénonciations sur la place publique, alors ça fait définitivement partie des facteurs à prendre en considération avant de faire une dénonciation sur la place publique. guylaine bachand, avocate en droit des médias – ça veut dire que si on décide de vous poursuivre, si vous avez dit des faussetés, bien on peut s’adresser, par exemple, facebook, à twitter, d’autres plateformes et, ultimement, obtenir votre identité. – les administratrices de dis son nom disposent maintenant de 30 jours pour porter cette décision en appel par rapport à l’anonymat.

  4. il y aurait éventuellement le procès en diffamation qui va avoir lieu et dans le cadre du procès, dis son nom veut se défendre en disant justement, en plaidant l’intérêt public derrière une telle liste de noms. – merci beaucoup, geneviève. et d’ailleurs, on va poursuivre la discussion avec pierre trudel, professeur titulaire au centre de recherche en droit public de l’université de montréal. bonjour, monsieur trudel. – bonjour! – votre réaction. expliquez-nous un peu concrètement. est-ce que ça veut dire que les dénonciations sur les réseaux sociaux ne pourront plus jamais tre anonymes? – ce que ça veut dire, en fait, ce que cette décision rappelle essentiellement, c’est qu’effectivement très risqué de dénoncer. ça a toujours été très risqué. parce qu’il n’y a pas de protection. il n’y a jamais eu de protection. le tribunal, dans sa décision, le rappelle. si quelqu’un lance des accusations sur internet ou ailleurs, il est évidemment susceptible de devoir répondre à une poursuite en diffamation si la personne qui est visée par les accusations estime que ce n’est pas vrai et que ça porte atteinte à sa

  5. réputation. et donc, c’est l’application d’un principe qui est extrêmement connu, qui existe depuis très longtemps, et que la juge fait simplement appliquait en soulignant que le fait que l’une des administratrices, celle qui souhaitait conserver l’anonymat, prétendent être elle-même victime d’une agression sexuelle, bien, ça ne suffit pas, selon la juge, pour lui conférer une sorte de droit complet et un droit à l’anonymat qui vaudrait en toutes circonstances. et donc, c’est dans ce sens-là que le jugement vient en fait en quelque sorte apporter un éclairage sur un principe qui est déjà bien établi dans notre droit civil. – donc, ce qu’on doit s’attendre, c’est si une personne souhaite dénoncer sur internet, cette personne doit s’attendre à ce qu’éventuellement, elle soit forcée de dire son nom? – absolument. notamment si la personne dénoncée la poursuit comme c’est le cas ici dans une action en diffamation.

  6. une action en diffamation, c’est un recours en justice de la part d’une personne qui estime que sa réputation a été injustement ternie, entachée. et donc, forcément, le fonctionnement même de ce type de recours suppose que les personnes accusées de diffamation soient forcées d’agir à visage découvert si vous voulez. – quelles conséquences ça pourrait avoir, pensez-vous, surtout ces mouvements qui sont périodiques, que l’on voit réapparaître dans l’actualité périodiquement, quelques fois par année? quelles conséquences ça pourrait avoir? est-ce que ça pourrait refroidir, pensez-vous, certaines victimes présumées? – bien, ça rappelle évidemment le risque inhérent à la dénonciation. évidemment, ce qui pourrait éventuellement être envisagé par certaines victimes qui souhaitent dénoncer des agressions, c’est de le faire en utilisant des moyens qui les rendent beaucoup plus difficile

  7. trouver, en utilisant le dark web ou d’autres moyens moins connus. mais c’est clair qu’à l’heure actuelle, dans l’état actuel de nos lois, on ne peut pas dénoncer, que ce soit une agression sexuelle ou n’importe quel autre crime, on ne peut pas dénoncer et s’attendre à ne pas tre identifié et à ne pas… et ce qu’on n’exige pas que l’on vienne non seulement identifier mais apporter des preuves substantielles aux accusations que l’on lance. alors c’est vrai que c’est un risque et qui peut effectivement avoir l’effet pervers de refroidir ou d’entraver des dénonciations qui doivent évidemment être faites. probablement que la vraie solution, c’est que le système de justice fonctionne à une

  8. vitesse un petit peu moins lente finalement. donc, si le système de justice était plus efficace, ce serait peut-être intéressant de dénoncer dans des environnements comme les réseaux sociaux. – mais c’est en même temps un mécanisme de protection pour une personne qui pourrait être injustement dénoncée aussi là. – absolument. parce que bon, même si les dénonciations fausses sont rares, selon les statistiques disponibles, il y a toujours cette possibilité effectivement qu’une personne soit faussement dénoncée ou que la personne nommée dans une liste comme celle dont il est question dans cette affaire porte le même nom que la vraie, que le vrai ou la vraie agresseur. donc, il y a toute une série de risques de part et d’autre, c’est-à-dire que les personnes injustement traitées ou injustement accusées peuvent effectivement sentir qu’elles ont le droit elles aussi de faire appel aux tribunaux pour protéger leur réputation.

  9. – pierre trudel, professeur titulaire au centre de recherche en droit public de l’université de montréal, on vous remercie beaucoup d’avoir été avec nous cet après-midi pour y voir plus clair dans cette situation.

Ce contenu a été mis à jour le 03/02/2021 à 1:15 PM.